samedi 19 septembre 2020

Bretagne Sud - 2


Oradour sur Glane

La pluie s'est invitée en début de soirée, pour se renforcer au milieu de la nuit. Pourtant, au matin, c'est un soleil bleu et un beau soleil qui nous attendent, impatients. A deux pas de notre stationnement, sur le petit marché du samedi d'Uzerche, nous faisons quelques provisions. Nous y croisons un producteur de fromages de chèvres originaire de La Grand Combe, qui nous confie que les montagnes cévenoles lui manquent, dans ce pays Corrézien où, selon lui, tout est plat. Pour midi, nous aurons donc un bon fromage de chèvre, une bonne bavette de producteur, et des petites tomates cerises du jardin. Nous dégustons tout cela sur une petite terrasse donnant vue sur la rivière et, en début d’après-midi, nous faisons route vers Montmorillon.

L'orage prend forme, ses couleurs sombres envahissent le ciel, et nous le trainons dans notre sillage.

Sur la route, un panneau semble nous faire un signe : Oradour sur Glane, dix kilomètres.

Nous nous y rendons.

 


L'oiseau vient de se poser tout en haut du mur écroulé. De là, il fixe l'horizon, donnant de temps à autres des coups d’œil rapides au décor qui l'entoure. Il semble habitué de se trouver au milieu de ces maisons écroulées, de ces pans de murs calcinés. Il semble s'en accommodé. L'oiseau, lui, ne sait pas ce qui s'est passé ici, le 10 juin 1944. Ici, à Oradour sur Glane. L'oiseau reste immobile, statufié. Il paraît gouter le silence qu'impose les lieux. Ici, l'oiseau est un oiseau comme un autre. Il chante, vole, s'envole, s'éloigne, revient. L'oiseau est libre. Ici, pourtant le lieu n'est pas un lieu comme un autre. Quels sentiments partager avec les gens que l'on croise, dans ces ruelles rendues muettes ? Connaître les mots qui viennent à chacun, aux détours de ces éboulis. Croiser les regards pour en deviner le profond émoi, désarroi. L'inacceptable est là. Des panneaux avec des chiffres, mais surtout, des photographies en noir et blanc, avec des visages. Des visages qui rendent humain, l'inhumain. La folie des hommes, la folie d'un homme. Mais, comment, pourquoi ? Oradour, cette cicatrice béante, encore rouge et douloureuse, malgré les années. Oradour, ce village tranquille où l'homme s'est perdu. Oradour, ce vaisseau naufragé dans l'irréversible. 

 


L'oiseau a disparu. Il s'est posé plus loin, sur une branche bien verte, d'un arbre du village reconstruit. Là, sereinement, il chante de son chant le plus joyeux, le plus aigu. Les gens lèvent la tête, à la recherche de l'oiseau. Les regards se croisent, et un léger sourire envahit les visages. Le chant de l'oiseau rassure, ramène à un quotidien devenu paisible. Paisible, comme l'était ce petit village, avec ses ruelles animées, ses enfants dans la cour de l'école, ses robustes paysans égratignés par la terre, ses jeunes gens découvrant la vie. Paisible, et pourtant, l'horreur a déchiré l'horizon, et poursuivi son chemin, pour aller plus loin... jusqu'au Rwanda, en Bosnie, ou ailleurs. 


 

Maintenant, l'oiseau regarde de loin le village calciné. Il sait que demain, il y reviendra. Il se posera sur le plus haut mur écroulé, pour regarder plus loin, pour regarder la vie. Mais là, sur ce perchoir de sang séché, il ne chantera pas. Non, l'oiseau fera silence, pour laisser monter le chant des morts. Il s'envolera à nouveau, et reviendra à nouveau, et reviendra encore. Il faut venir à Oradour sur Glane. Il faut venir faire mémoire. 

Paul Eluard - 1944

Nous quittons Oradour sur Glane, sous l'orage, qui a fini par nous rattraper, et arrivons une heure plus tard, à Montmorillon, où nous allons passer la nuit.

 


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